Sorti en salles le 8 mars en France (1), jour de la Journée internationale des droits des femmes, « les Figures de l’ombre » raconte le destin hors du commun de 3 scientifiques afro-américaines de la NASA, dans les années 60. Inconnues des livres d’histoire, Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson ont pourtant été parties prenantes de cette folle course spatiale des USA. Retour sur un film qui vous prend aux tripes, un vent de féminisme qui fait du bien. Avis aux amatrices(eurs) !
SOLIDARITE
« Calculatrices de couleur ». Une plaque gravée dans un bureau de la Nasa définit la fonction du groupe de recherches Ouest. 20 femmes noires qui calculent à la mano, entre autres, les coordonnées et trajectoires orbitales. Ces mêmes données qui permettront à l’astronaute John Glenn de réussir le premier vol orbital américain autour de la Terre, en 1962, dix mois seulement après Youri Gagarine.
C’est dire le climat sexiste et raciste qui règne alors en Virginie, à l’époque de la ségrégation raciale. Parmi ces « petites mains », les 3 héroïnes du film, Katherine, Dorothy et Mary, unies envers et contre tout, vont sceller leur destin hors du commun. Côté casting, Taraji P.Henson, icône de la série « Empire », incarne avec humour le personnage de Katherine Johnson. Cette virtuose à lunettes des équations sera affectée au groupe Espace dirigé par Al Harrison, incarné par Kevin Costner. Dorothy Vaughan, responsable de l’unité de calcul où elles travaillent toutes n’est autre qu’Octavia Spencer, remarquable actrice au tempérament bien trempé de « La Couleur des Sentiments ». Et Mary Jackson, décédée en 2005, renaît grâce au jeu de la diva pop soul Janelle Monae. C’est la seconde apparition cinématographique de la chanteuse après le film Moonlight, qui remporte l’Oscar du Meilleur film cette année. Le tout, rythmé par le swing de la BO, imaginée par l’artiste Pharell Williams, ex-leader des Neptunes, dont les tubes à succès ne sont plus à rappeler.
« (…) Le pouvoir des femmes qui restent ensemble, unies,
c’est avec ça que nous pourrons changer le monde (…) »
Ce long-métrage, l’histoire vraie de femmes brillantes, est d’abord celle d’une solidarité franche qu’on aimerait expérimenter toujours plus. Recrutées en pleine deuxième guerre mondiale, les hommes étant au front, le trio se serre les coudes. Lorsque Katherine, l’ingénieure finit au bureau la nuit tombée, lorsque Mary, la mathématicienne se révolte faute de pouvoir suivre un cours d’ingénierie aéronautique dans une faculté réservée aux étudiants blancs, nos 3 mères de famille se surmontent les épreuves avec malice et détermination. Lors d’une interview au Hollywood Reporter en septembre 2016, l’une des actrices Taraji P.Henson rappelle l’importance de la solidarité féminine. Elle déclare : « Regardez ce que ces femmes ont accompli. Le pouvoir des femmes qui restent ensemble, unies, c’est avec ça que nous pourrons changer le monde. Et jusqu’à ce que nous y arrivions, nous n’irons nulle part ! » (traduit de l’anglais)
©Vidéo the Hollywood reporter.com, The Hidden Figures
INTELLIGENCE SUPERIEURE
Dans la vraie vie, Katherine Johnson dénote encore par son humilité. Après des calculs faits par ordinateur, la jeune femme revérifiera les données de trajectoire à la main avant le décollage, à la demande de l’astronaute John Glenn. Encore elle qui sera responsable des calculs pour le lancement de l’Apollo 11 qui enverra le premier américain sur la Lune en 1969. Décorée d’une médaille présidentielle par Barack Obama en 2015, l’une des plus hautes distinctions civiles de l’Etat, à l’âge de 97 ans, Katherine Johnson déclare dans des archives de la NASA :
« J’ai juste fait mon travail. La Nasa avait un problème
et j’avais la solution ».
Tout simplement. Cette surdouée abat quotidiennement un travail de titan, sa rapidité d’exécution des calculs et ses connaissances en géométrie analytique font légion. Ce qui l’emmènera au groupe Espace par la suite, devenant ainsi la première femme à s’intégrer à une équipe de recherche masculine.
Mary Jackson, brillante ingénue mathématicienne travaille avec l’ingénieur Kazimierz Czarnecki sur la soufflerie supersonique. Première femme noire ingénieure de la NASA en 1958, elle atteint le plus haut grade au sein de l’agence après 34 ans de bons et loyaux services.
Dorothy Vaughan, physicienne et responsable du pôle, quant à elle, devient responsable de la programmation et la première cadre noire de l’agence. Elle décède en 2008.
« Les Figures de l’Ombre » rend hommage à ces (S)Heroes en puissance et à toutes celles qui militent pour leurs droits, leurs envies, leurs ambitions. Sexisme de la hiérarchie, d’un collègue, parfois même d’un mari qui voit sa dulcinée évoluer trop vite à son goût, sont quelques-unes des barrières que ces héroïnes franchissent. Pas à pas, dans le film. De grandes dames qui nous donnent une vraie leçon de vie, dans une société parfois hostile à la réussite de l’autre, il faut le dire. Se rendre indispensables, faire preuve de patience, voilà comment ces 3 « cerveaux » ont su s’imposer. Ou comment Dorothy, menacée d’être rendue « obsolète » avec toute son équipe à l’arrivée d’un ordinateur géant, invite ses troupes à se former à la programmation Fortran, un langage utilisé pour le calcul scientifique. Nous ne vous en dirons pas plus, la suite est à découvrir dans le film…
GENERATION
Ces « étoiles » auraient pu ne jamais briller aux yeux du monde, mais l’histoire, une femme en a décidé ainsi. Les six années d’investigation de l’auteur, Margot Lee Shetterly, fille d’un scientifique du centre de recherches de la Nasa, donneront naissance au livre (2), « Hidden Figures : The American Dream and the Untold Story of the Black Women Mathematicians Who Helped Win the Space Race ». Un best-seller classé n°1 par le New York Times et adapté ensuite par Hollywood, sur grand écran. Plébiscité par la presse internationale, en janvier dernier, l’équipe repart avec le Screen Actors Guild Award, prix du syndicat des acteurs américains et sera nominé par 3 fois aux Oscars. La portée de ce biopic, bouffée de « self-empowerment » (dépassement de soi) pour toutes les femmes et l’humanité, transcende tout. Les clichés, les frontières, les barrières psychologiques liées à notre éducation ou notre environnement. Le film fait tant d’émules que l’agence spatiale décline sur son site Nasa’s Modern Figures (les figures modernes de la Nasa), une série d’interviews d’ingénieures, astronautes ou encore chercheuses porteuses d’un message d’espoir aux femmes d’aujourd’hui. A travers leur histoire, Dorothy, Katherine et Mary inspirent et nous font toutes briller un peu plus, à chaque instant.
(1) En salles actuellement
(2) « Hidden Figures: The American Dream and the Untold Story of the Black Women Mathematicians Who Helped Win the Space Race », signifie en français « Le Rêve Américain et l’Histoire non racontée des femmes noires mathématiciennes qui ont aidé à gagner la conquête de l’espace ».
Auteur Margot Lee Shetterly, publié en anglais, Septembre 2016
« Les figures de l’ombre : Le livre qui a inspiré le film – 3 nominations aux Oscars 2017 », broché en version française, éditions Harper Collins, 15 février 2017